En is het niet aan het oude ras van trotse burgers, aan de verbeten, bijna religieuze arbeidslust (...), dat de stad die morele, intellectuele en fysieke kracht dankt.

Giuseppe Ungaretti (1933)

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Suzanne Lilar: *Une enfance gantoise* (1976), p. 133-135
Le merveilleux

Dans le bois de Flobecq j’avais écouté la salutation de l’aurore et j’avais eu le sentiment de la merveille. Non moins merveilleuses, me venant de l’Arrière Faucille lorsque je m’engageais à gauche de Saint-Bavon, ces vagues de musique que je recevais de plein fouet. Sauvage et discordant, c’était le mélange des instruments à vent et à cordes dont jouaient les élèves du Conservatoire et qui tous ensemble me conviaient à ce phénomène surprenant: la musique en train de naître. Ainsi le merveilleux était-il lié pour moi à la sensation.

Je ne sais qui a dit qu’il y a des jardins sensuels et des jardins mystiques. De ceux-ci le jardin de la rue Liévin de Winne: austère, sans fleurs, encaissé et comme écrasé avec son arbre unique contre le mur très haut de la riche maison Delva. Mais celui de Mme Théo était un jardin sensuel. C’est là que j’ai touché pour la première fois le velouté d’énormes pensées – ou qui me paraissaient telles – , que j’ai respiré le parfum suave des lys et de l’héliotrope. Quelquefois, plus belle d’être unique, une rose s’ouvrait sur le rosier. Il y avait des coins ombreux où poussait la fougère. On y pouvait humer la bonne odeur nourricière du terreau. Ce paradis, sis comme il convenait rue aux Fleurs, mesurait bien cinq mètres sur cinq mais débouchait sur l’illimité da la rêverie. Tout y resplendissait de la fraîcheur et de l’évidence de l’archétype – comme cette fleur de fraisier de Jean Van Eyck que, de temps à autre, la classe entière allait identifier à la loupe. Ainsi les poètes des premiers âges, par la seule magie de la nomination faisaient-ils surgir la fleur ou l’oiseau dans sa nouveauté de chose jamais vue. Vertu de l’enfance, celle de la langue ou du spectateur.

Toujours le merveilleux était lié au sentiment de la rareté. Je n’étais pas fâchée que la rose fût unique. Je n’avais pas aimé tellement la roseraie de l’Exposition. Quant aux fameuses floralies, gloire de notre cité, dois-je avouer qu’elles m’avaient déçue. J’avais attendu la féerie et n’avais trouvé qu’amoncellement. A d’autres plus savants de s’extasier devant les variétés et les espèces. Moi ignorante, perdue dans le troupeau des visiteurs, lasse d’avance de tous ces pétales, j’avais bâillé.

Le merveilleux n’était pas seulement quelque chose de rare mais qui surprenait et que souvent l’on déborait aux autres. Alors que mon propre jardin était voué, qu’il m’était non pas merveilleux mais sacré, c’est aux jardins des autres que je dérobais ces ravissantes surprises: tantôt les délicates fleurs étoilées, tantôt la luisante et comme vernissée cerise du Nord des espaliers du jardin de mon amie Juliette. C’est d’un autre jardin, celui des Delva, que me venait visiter les soirs d’été, l’odeur sucrée, entêtante de l’acacia, m’induisant à versifier (“l’acacia ce soir a d’étranges senteurs”), cependant que j’empruntais au dôme voisin du consulat de Perse, profilé sur le couchant, des fantasmagories que je nommais orientales.

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[Auteurs] Lilar, Suzanne